L’aphasie, un mal qui isole et qui reste peu connu de la plupart des français
Méconnue, l’aphasie concerne de très nombreuses personnes en France. Elle est source d’isolement mais n’est pas une fatalité pour celles et ceux qui ont la volonté de retrouver une vie sociale.
Nous avons eu l’opportunité de rencontrer M. Journet, aphasique depuis un accident vasculaire cérébral survenu lorsqu’il avait 32 ans et exerçait la profession de médecin. L’aphasie est une perte totale ou partielle de l’usage de la parole, c’est l’accident vasculaire cérébral qui en est la principale cause. Il représente environ 75% des cas. D’autres causes sont aussi à prendre en compte telles que le traumatisme crânien, mais aussi les tumeurs cérébrales bénigne ou maligne, les maladies neuro-dégénératives comme la Maladie d’Alzheimer, plus rarement les causes infectieuses ou inflammatoires…
Quelles sont les autres conséquences de l’aphasie ?
Certaines personnes, au-delà de ne plus pouvoir s’exprimer de manière totale ou partielle, ne peuvent plus lire, écrire ou même compter. C’est assez complexe. Certaines personnes peuvent parler mais ne peuvent plus écrire ou compter. Pour les moins chanceux, les conséquences sont la perte totale de la parole, de la lecture, de l’écriture et du déchiffrement. Leur seul moyen de communiquer est alors d’utiliser des pictogrammes. Ces personnes gardent tout leur raisonnement et comprennent leur environnement sans pouvoir interagir. Le lien avec l’environnement est coupé. Les amis se raréfient et la vie se rétrécit…
Quelle est la population la plus touchée ?
Ce sont surtout les personnes de plus de 60 ans, mais j’ai moi-même eu un AVC à 32 ans, et même des enfants peuvent avoir une hémorragie cérébrale.
Comment vit-on avec un tel handicap ?
Le plus dur est d’être privé de toute forme de communication. C’est un drame pour la personne qui ne peut pas dire ses propres besoins, « j’ai faim », « j’ai froid » ; et même en cas de danger pour elle-même, la personne ne peut pas appeler les secours. Côté administratif, c’est aussi terrible car la personne peut s’avérer incapable de gérer la totalité de ses papiers et donc de répondre à ses obligations administratives et fiscales, tout comme de gérer ses propres comptes. Ce sont des personnes qui ont besoin d’être entourées et si possible d’avoir des aidants professionnels de manière continue.
Y a-t-il une solution thérapeutique à l’aphasie ?
La première des solutions, c’est de faire appel à un ou une orthophoniste pour réapprendre à parler, écrire et essayer de communiquer malgré l’aphasie. Il faut tout réapprendre comme le ferait un enfant qui apprend les bases de l’écriture et du langage. Mais la personne adulte peut aussi pratiquer de l’auto-rééducation à partir du moment où elle a acquis les protocoles. En ce qui me concerne, je suis resté mutique durant près de 2-3 ans.
Dans quelles circonstances cela vous est-il arrivé ?
J’étais médecin libéral et à 32 ans, je me suis retrouvé un jour dans l’incapacité de remplir une ordonnance. Croyant que c’était la fatigue, je suis allé voir ma secrétaire pour qu’elle me fasse un bon café. Puis je suis tombé dans le coma. Au pavillon d’urgence, le médecin a diagnostiqué une rupture d’angiome artério-veineux et j’ai été opéré en neurochirurgie. Je suis resté dans le coma une vingtaine de jours. D’abord alité, puis je fus ensuite en fauteuil roulant, mutique durant près de 2-3 ans ; impossible pour moi de communiquer. J’en ai gardé une hémiplégie mais ce n’est pas le plus grave pour moi. Le plus dur c’est le handicap de communication. Il y avait une sorte de mur entre moi et le reste du monde. Je comprenais ce qui m’arrivait, je voulais m’exprimer mais je n’arrivais pas à le faire sortir de mon cerveau.
Psychologiquement, comme le viviez-vous ?
Au début, ce sont des pleurs, de la souffrance, je me disais que j’étais fini. Au début les médecins sont assez fatalistes. Mais moi, de mon côté, le combat pour l’autonomie c’est toute ma vie. Certaines situations sont toujours difficiles à vivre, j’ai du mal à marcher et dans la rue les gens croient que je titube parce que j’ai bu.
Dès lors comment avez-vous organisé votre vie ?
J’ai bien évidement tout arrêté et j’ai heureusement eu beaucoup de monde autour de moi. C’est très important d’être entouré en cas d’aphasie. Les aphasiques ont besoin d’aide et de soutien. Je me suis beaucoup investi sur l’aphasie et sur le retour à domicile des personnes aphasiques, sur l’association des aphasiques de St Etienne pour retrouver une amitié avec des personnes aphasiques et les aider pour pouvoir communiquer, et enfin je suis devenu président de la Fédération Nationale des Aphasiques de France en 2003 : la FNAF (www.aphasie.fr).
Nous avons bien sûr des associations mais trop peu de personnes s’engagent à les faire vivre. Nous sommes environ 300 000 aphasiques en France et on ne compte que 1200 adhérents à ces associations, c’est vraiment décevant !! Sur le plan public, on s’intéresse depuis peu de temps à l’aphasie. Il faut noter le rôle actif de la FNAF, qui se bat pour que ce handicap de communication soit bien reconnu. Nous faisons partie au niveau national du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) et du Collectif Handicaps (fédérations nationales sur le handicap), puis au niveau international de l’Association Internationale sur l’Aphasie (AIA). Nous saisissons toute opportunité pour nous faire reconnaître. Nous avons un Conseil National Scientifique et Social de notre fédération qui réunit des spécialistes de l’aphasie et nous sommes en lien avec diverses sociétés médicaux très en pointe sur la recherche.
Quelles solutions pour retrouver une vie sociale avec une aphasie ?
Lorsqu’on souffre d’aphasie, il faut tout d’abord accepter le handicap de communication, et par conséquent s’ouvrir au maximum à son environnement. Il faut communiquer autant que possible avec sa famille, des aidants, des professionnels de santé, les associations d’aphasiques, c’est très important. Et bien sûr, quand c’est possible, reprendre le travail mais les entreprises sont très peut ouvertes à cela. Pour favoriser la communication aux aphasiques, le théâtre peut être l’outil formidable. En réalité, dans la société, rien n’existe réellement en termes d’outil de compensation bien défini pour nous faciliter la vie. Pour des aphasiques qui ne peuvent pas parler ni écrire, la seule aide technique pour eux c’est un carnet de communication qui apporte des images et qui concentre des phrases, des questions et des formulations courantes pour les différentes situations du quotidien. Mais comment faire au téléphone, c’est encore un autre problème. Les associations contribuent à la diffusion de ces aides, ce qui est essentiel mais pas suffisant. Il faut encore et encore plus de sensibilisation, que ce soit dans les administrations publiques mais aussi par des manifestations publiques, des colloques… Il est aussi nécessaire d’avoir une prise en charge par l’État, c’est un droit qui est écrit dans la loi de 2005, au 3e alinéa de l‘article 76 : Les personnes aphasiques peuvent se faire accompagner devant les juridictions par une personne de leur choix ou un professionnel, compte tenu de leurs difficultés de communication liées à une perte totale ou partielle du langage.
Quelle vie culturelle est possible dans ces circonstances ?
Il y en a une, bien sûr, mais il faut sortir malgré les difficultés, notamment de transport pour ceux qui sont hémiplégiques, aller au théâtre, au musée, au cinéma… mais aussi la télévision et internet qui sont une belle ouverture sur le monde. Ce qui est difficile pour un aphasique c’est de se retrouver au milieu d’un groupe car la communication est alors trop complexe à gérer et accentue le sentiment d’isolement.
En photo : Jean-Dominique Journet.